Paysage de ville en bord de mer avec logo de la communauté de communes Granville Terre et Mer
crédit ©Benoit Croisy
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Coopérer pour mieux déployer le programme Territoire Engagé Transition Écologique : l’exemple de Granville Terre & Mer

Le 28 mars 2025 • Mis à jour le 25 avril 2025

Dépliez une carte de la Normandie, zoomez sur la Manche. Là, à quelques encablures du Mont-Saint-Michel, entre air iodé et chemins verdoyants, se trouve le territoire de Granville Terre & Mer. Depuis 3 ans, cette communauté de communes de 45.000 habitants inscrit son action dans le cadre du programme Territoire Engagé Transition Écologique (T.E.T.E.) de l’ADEME. Comme près de 600 autres collectivités de France, elle bénéficie d’un appui technique sur mesure et d’outils dédiés pour mobiliser ses équipes et avancer de manière autonome et progressive. L’objectif ? Planifier, structurer et mettre en œuvre une politique environnementale et climatique volontariste sur ce bout de terre qui rassemble 31 communes autour de sa majestueuse ville-centre, parfois surnommée « la Monaco du Nord ». « C’est une démarche de challenge, qui invite à la lucidité et à l’humilité » , soulignait Stéphane Sorre, le Président de Granville Terre & Mer, au moment de la signature du contrat d’objectif territorial qui a consolidé l’engagement de la collectivité auprès de l’ADEME. C’est aussi une aventure qui mérite d’unir ses forces pour réussir, en nouant des relations étroites, respectueuses et de longue durée avec des partenaires-clés. Illustration avec la Chambre d’Agriculture départementale et Ose Recyclerie, deux précieux adjuvants pour concrétiser la transition au quotidien.

Pour faire une différence à l’échelle d’un territoire, l’accumulation de petits projets ponctuels n’est jamais suffisante. Cela est vrai, que l’on parle d’économie circulaire ou de développement des énergies renouvelables. Il s’agit donc plutôt de mettre en place des projets structurants, à vocation transformatrice et reposant sur un maillage serré de parties prenantes. « Nos projets prennent tout leur sens lorsque les acteurs du territoire sont impliqués » reconnaît spontanément Candice Doligé, chargée de mission Transition écologique au sein de Granville Terre & Mer.

Vers une filière bois-énergie qui valorise l’entretien du bocage

Tel est le cas, par exemple, du projet de filière bois-énergie initié par la communauté de communes, et qui est l’une de ses actions emblématiques sur le volet Climat-Air-Energie du programme Territoire Engagé Transition Écologique.

Avec ses haies, ses prairies et ses parcelles délimitées par des talus boisés, le bocage normand constitue un véritable patrimoine, tant naturel que culturel. Pour autant, la gestion des haies représente un coût économique non négligeable pour les exploitants agricoles. « Si leur entretien devient trop lourd » explique Nadège Mahé, agricultrice à Coudeville-sur-Mer et élue à la Chambre d'Agriculture de la Manche, « le risque est grand de voir les agriculteurs réduire ces éléments paysagers plutôt que de les préserver. C’est pourquoi il est essentiel d’offrir des opportunités économiques pour encourager l’entretien des haies. »

Paysages de haies et de collines
Crédit photo : Office du Tourisme Granville Terre & Mer

L’enjeu est donc de structurer une véritable filière de valorisation du bois bocager à l’échelle intercommunale qui puisse soutenir les agriculteurs, certes, mais aussi répondre aux besoins en énergie renouvelable des bâtiments publics, à travers la mise en place, en partenariat – entre autres - avec la Région Normandie et le Syndicat départemental des énergies de la Manche (SDEM50), d’un réseau de chaleur à Granville, qui desservira à terme plusieurs infrastructures, telles l'hôpital, les lycées et divers services municipaux. L’étude diagnostic menée par la Chambre d’Agriculture en 2023 a mis en évidence un potentiel de ressources suffisant pour justifier la mise en place du projet dans le respect des capacités naturelles de production bocagère du territoire. Elle a été présentée aux élus, puis aux agriculteurs au printemps 2024. « L’objectif, à présent, c’est d’informer, d’accompagner ceux d’entre eux qui sont intéressés, mais aussi d’éviter de faire tout et n’importe quoi. Que ce soit auprès des agriculteurs ou, plus largement, du grand public, Il y a toute une pédagogie à mettre en place sur la gestion des haies et leur rôle dans le paysage agricole » avertit Nadège Mahé. Granville Terre & Mer aura un grand rôle à jouer en la matière.

Portrait de Nadège Mahé dans une ferme
Nadège Mahé, agricultrice à Coudeville-sur-Mer et élue à la Chambre d'Agriculture de la Manche - crédit photo : L'Agriculteur Normand

« Il y a une vraie appétence pour le réemploi sur le territoire » s’enthousiasme Fabienne Bainée, qui a repris la direction d’Ose Recyclerie il y a presque deux ans après une expérience à la direction d’un magasin d’une grande chaine de textile française qu’elle met encore aujourd’hui à profit dans ce nouveau contexte « L’offre existe en abondance et elle est plutôt qualitative. De l’autre côté, la demande est en croissance également. Et on s’aperçoit que plus on communique, plus on progresse, même si les représentations associées au réemploi restent complexes à gérer, notamment chez les jeunes. » C’est la raison pour laquelle l’association, en collaboration avec d’autres acteurs locaux, multiplie les initiatives à l’égard de ce public, dont des ateliers pratiques et des opérations ponctuelles de type « ressourceries éphémères » qui permettent d’attirer des non convaincus. Le modèle évoluera encore dans l’avenir puisque Granville Terre & Mer envisage la création d’un pôle environnemental intégrant une zone de réemploi, librement inspirée du modèle du SMICVAL en Nouvelle-Aquitaine. Ce projet figure dans le volet « économie circulaire » du plan d’actions Territoire Engagé Transition Écologique élaboré par la communauté de communes. Dans cette logique de supermarché inversé, les usagers de la déchetterie passent en premier lieu par la zone de réemploi et y déposent les biens dont ils n’ont plus l’usage. « C’est aussi une opération de communication pour revaloriser l’image de l’occasion. Je suis convaincue que c’est une bonne chose, même si cela impliquera le déménagement de la ressourcerie » estime la directrice d’Ose Recyclerie.

Portrait de Fabienne Bainée devant des livres
Fabienne Bainée, directrice d’Ose Recyclerie - crédit photo : Ouest France
Vaisselle en ressourcerie
Objets roses en ressourcerie
Entrée de la ressourcerie du Tri Marrant
Livres en ressourcerie
Ressourcerie Le Tri-Marrant/Ose Recyclerie. Crédits photos : Nathalie Ricaille

La coopération, une façon d’être et d’agir au bénéfice des actions de transition écologique

Les partenariats de proximité dynamisent aussi, par exemple, le Programme Alimentaire Territorial porté par Granville Terre & Mer. Dans ce cadre, la Chambre d'Agriculture est notamment intervenue pour former les restaurateurs des collectivités à la valorisation des menus végétariens avec un approvisionnement local en légumes et légumineuses. Un guide des producteurs a aussi été publié et diffusé auprès des habitants mais également des visiteurs de passage, via l’Office du Tourisme. 42 producteurs de légumes, fruits, produits de la mer, viandes, œufs, cidres, jus, bières, herbes aromatiques, tisanes, pains et locaux y présentent leur savoir-faire … et ça donne envie de tout goûter ! On le voit, l’action structurante impulsée par Granville Terre & Mer nourrit tout un écosystème d’acteurs tendus vers un même but : le développement durable, équilibré et solidaire du territoire. Cette dimension coopérative fait pleinement partie de la méthodologie d’intervention du programme Territoire Engagé Transition Écologique. Elle est d’ailleurs valorisée en tant que telle dans ses deux référentiels socles « Economie circulaire » et « Climat-Air-Energie ».

Pour autant, cela va-t-il de soi de jouer collectif ? Est-ce si simple de fédérer autour d’une vision commune des objectifs à atteindre ? La chargée de mission Transition écologique de Granville Terre & Mer est lucide : « Quoi qu’on en dise, il n'est pas naturel pour les collectivités et les agriculteurs de collaborer. Travailler ensemble sur des sujets de transition écologique représente encore un défi » admet-elle. « Et cela est vrai aussi pour ce qui concerne les associations. Avec certaines, nous avons véritablement réussi à co-construire des projets (je pense évidemment à Ose Recyclerie mais aussi à tous nos partenaires de la Semaine du Climat), alors que d’autres ne semblent venir nous voir que pour obtenir un financement, sans chercher à bénéficier de notre expertise. Cela peut entraîner des tensions car, nous, nous voulons être impliqués. Parfois encore, ce sont les préoccupations politiques et les exigences militantes qui ne s'alignent pas » explique encore Candice Doligé.

Portrait de Candice Doligé
Candice Doligé, chargée de mission Transition écologique au sein de Granville Terre & Mer - crédit photo : Candice Doligé

Dès lors, comment établir des partenariats solides et bâtir une confiance mutuelle au service du déploiement du programme Territoire Engagé Transition Écologique ?

Chacune a sa réponse. « Bien sûr, il y a le littoral et la carte postale » avance la représentante de la Chambre d’Agriculture de la Manche « mais les élus de Granville Terre & Mer ont une vraie volonté de maintenir un équilibre entre la côte et l’arrière-pays et cela se traduit dans les politiques menées. De plus, nous avons toujours été associés aux décisions stratégiques. Et on sait bien que les travaux collectifs avancent plus vite et s’ancrent mieux sur le terrain lorsque tous les acteurs sont réunis. Ailleurs, les agriculteurs sont encore parfois considérés comme un secteur à part. Ici, nous faisons pleinement partie des acteurs économiques du territoire, et c'est une vraie force » conclut-elle avec le sourire.

2 personnes en train de faire du vélo sur un pont en bois dans la campagne normande
Crédit photo : Office du Tourisme Granville Terre & Mer

« Au sein de la collectivité, il y a une vraie volonté de faire, et cela se ressent » déclare en écho Fabienne Bainée. « Les élus sont impliqués et accessibles. Par exemple, lors de l’inauguration de la ressourcerie, certains étaient présents. Ca compte. Derrière eux, il y a aussi une équipe concernée, des personnes qui ont des convictions et des engagements qui vont au-delà de la seule idée de bien faire son travail. Je suis convaincue que cette dynamique, cette proximité font une réelle différence. C’est motivant pour tous. »

Ces retours encourageants sont reçus avec humilité par Candice Doligé qui sait d’expérience qu’au fond, ce qui compte le plus, c’est la plus-value des actions à conduire : « Il est crucial de poursuivre les initiatives qui ont du sens pour le territoire. Nous nous y sommes engagés. C’est pourquoi, en cas de situation tendue au sein d’un partenariat, c’est fondamental de comprendre d’où vient le conflit pour le désamorcer, au risque, sinon, de compromettre le projet » prévient-elle. Cela passe par une écoute active et empathique, mais aussi par l’acceptation du fait qu’une relation partenariale se construit pas à pas, en apprenant chaque jour à mieux travailler ensemble. « Je me souviens très bien de mes premiers échanges avec Didier Leguelinel, le vice-président de Granville Terre & Mer » se remémore Nadège Mahé. « Nous n'étions pas totalement en accord au départ. Mais à force de discussions et d'échanges, aujourd'hui, il nous comprend beaucoup mieux. Chacun garde son identité et ses combats propres, mais tant qu’on communique dans le respect mutuel, on avance et on construit » conclut-elle.

La labellisation territoriale : un booster de partenariats

Mieux coopérer passe aussi par de la transparence sur le programme Territoire Engagé Transition Écologique lui-même. « Savoir que Granville Terre & Mer est un territoire labellisé est un sujet de fierté, d’autant plus si cette labellisation a une portée nationale. Je suis heureuse de l’apprendre » déclare la directrice d’Ose Recyclerie. « Je me dis aussi que cette reconnaissance entraîne aussi une certaine responsabilité : celle de faire avancer les projets, de professionnaliser le travail et de répondre aux attentes, même si nous restons une association qui repose en partie sur du bénévolat. Au fond, je vois ça comme une pression bienveillante et une occasion de montrer l’engagement des bénévoles et la recherche de sens derrière chaque action » avance encore Fabienne Bainée.

« Dans le monde agricole, on ressent souvent un manque de valorisation des efforts fournis » renchérit Nadège Mahé. « Les actions entreprises ne reçoivent pas toujours le retour qu'elles méritent, que ce soit des élus ou de la population. Pouvoir visualiser cette progression à travers des indicateurs clairs serait un moyen de concrétiser nos avancées et de mettre en avant les efforts déployés. Du coup, si un moment d’information et d'échanges récurrent était créé entre Granville Terre & Mer et ses principaux partenaires dans le cadre du programme "Territoire Engagé Transition Écologique", je serais vraiment intéressée d’y participer.» Gageons que cette suggestion sera considérée avec bienveillance par les élus et les services de la communauté de communes. En tout cas, Candice Doligé est ouverte à l’idée : « Le pilotage du COT reste très technique. Du coup, lorsque nous passons du temps avec nos partenaires, nous préférons souvent discuter des actions que nous allons mettre en place ensemble plutôt que de rentrer dans les tuyaux des référentiels du programme. Mais cette proposition a beaucoup de sens. C’est effectivement important de dézoomer avec nos partenaires, pour qu’ils puissent mieux appréhender la trajectoire globale dans laquelle s’inscrit Granville Terre & Mer. »

Propos recueillis par Nathalie Ricaille.